Une IA fait le buzz sur Spotify, mais Daughtry reste catégorique : “Ce n’est qu’un gadget”

à 11h54
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Une IA fait le buzz sur Spotify, mais Daughtry reste catégorique : “Ce n’est qu’un gadget”
© YouTube (@daughtry)

Chris Daughtry prend position dans le débat sur l’intelligence artificielle appliquée à la musique, affirmant que cette technologie ne pourra jamais reproduire les émotions humaines : un avis tranché, exprimé alors qu’un groupe entièrement généré par IA sème la confusion sur Spotify.

Chris Daughtry : “L’IA ne peut pas atteindre le cœur”

Invité de l’émission The Dark sur la station 94 Rocks KFML, Chris Daughtry a livré un point de vue sans ambiguïté sur la place de l’intelligence artificielle dans la création musicale. Lorsqu’on lui a demandé s’il envisageait d’utiliser cette technologie dans son propre processus artistique, le chanteur a répondu : “Je ne pense pas que l’on puisse créer une émotion humaine avec l’intelligence artificielle. Elle ne peut pas atteindre le cœur. Et même si un jour elle y arrive, je pense que les gens verront toujours à travers la supercherie.”

Pour lui, la musique naît d’une interaction humaine, viscérale et sincère : “J’aime l’aspect humain de la création. Ce que nous faisons, c’est un art vivant, nourri par nos expériences, nos luttes, nos victoires. Ce que fait l’IA est peut-être impressionnant, mais ça reste un gadget pour moi.”

Ces propos font écho à l’évolution artistique du groupe Daughtry, dont les titres récents comme The Day I Die ou Artificial adoptent un ton plus sombre et introspectif, proche du metal alternatif. Une transformation nourrie par des émotions profondes, que Daughtry estime impossibles à simuler par une machine.

L’affaire The Velvet Sundown : quand l’IA s’invite dans les playlists

Les déclarations de Daughtry interviennent alors que le cas du projet The Velvet Sundown fait débat. Ce groupe fictif, vraisemblablement généré à l’aide de la plateforme Suno, cumule plus de 500 000 auditeurs mensuels sur Spotify… sans exister réellement.

Leur musique, leurs photos, leurs biographies sur les réseaux sociaux : tout semble avoir été entièrement fabriqué. Aucun concert, aucun label, aucun musicien identifiable. Le plus troublant reste leur ascension fulgurante, grâce notamment à leur présence dans des playlists très suivies comme Good Mornings ou Vietnam War Music. Leur visibilité semble donc reposer sur l’algorithme plus que sur un véritable public.

Ce phénomène alimente les soupçons selon lesquels Spotify favoriserait l’inclusion de “ghost artists” – des projets anonymes, souvent créés par IA, qui permettraient de réduire les paiements de royalties aux artistes réels. Déjà critiqué pour sa faible rémunération des musiciens, le streaming est de nouveau accusé de manquer de transparence.

Spotify, auditeurs mensuels et illusions de popularité

Pour Daughtry et d’autres artistes, l’affaire Velvet Sundown incarne une dérive : la course aux chiffres, parfois déconnectée de la réalité. Le nombre d’auditeurs mensuels est devenu un indicateur central de réussite, mais aussi un terrain propice à la manipulation.

Comme l’a rappelé Craig Reynolds (batteur de Stray From The Path), cette métrique inclut toute personne ayant écouté une seule chanson, même par hasard via une playlist. Résultat : une illusion de succès qui influence les labels, les festivals, et les médias.

Le rappeur américain Russ résume ainsi la situation : “Les auditeurs mensuels sont essentiellement des impressions mensuelles. Ce n’est pas une mesure de succès, mais un outil de comparaison malsain.” Une critique partagée par divers créateurs, qui s’inquiètent de voir l’industrie privilégier l’image au détriment de l’expérience artistique réelle.

Une scène rock et metal divisée face à l’IA

Chris Daughtry n’est pas seul à s’interroger. De nombreux artistes du rock et du metal affichent une prudence, voire une hostilité, face à l’IA. Jimmy Page (Led Zeppelin) a dénoncé des pratiques “abusives”, estimant que l’IA “synthétise des œuvres humaines, sans âme” : “Ce ne sont que des échos creux, dépourvus de l’âme qui définit la véritable création artistique.”

Brent Smith (Shinedown) ajoute : “Jusqu’à présent, aucune chanson créée par IA ne m’a fait frissonner.”

D’autres musiciens, comme Jordan Rudess (Dream Theater) ou Devin Townsend, voient dans l’IA un outil stimulant s’il est bien encadré. Townsend explique s’en servir pour générer des idées visuelles ou sonores à retravailler : “Je ne pense pas qu’il faille avoir peur d’un outil qui a autant de potentiel. Ce n’est pas un messie, mais ce n’est pas non plus un monstre.”

Même Sharon den Adel (Within Temptation) et Elize Ryd (Amaranthe) se montrent ouvertes, à condition que la technologie n’efface pas la dimension humaine des spectacles. Dino Cazares (Fear Factory), de son côté, adopte une posture fataliste : “Elle devient plus puissante chaque seconde. Vous pouvez pleurer autant que vous voulez, mais elle ne va pas disparaître.”

Des batailles juridiques en cours

Le débat s’étend désormais aux tribunaux. Universal et Sony ont intenté des procès contre des entreprises comme Suno et Udio pour violation de droits d’auteur.

Les enjeux sont majeurs : qui détient les droits sur une œuvre générée par IA ? Faut-il un étiquetage obligatoire ? Peut-on interdire l’entraînement de modèles sur des musiques existantes sans consentement ? Autant de questions juridiques encore floues, mais cruciales pour l’avenir du secteur.

Deezer estime déjà que près de 20% de la musique publiée sur sa plateforme est générée par IA – un chiffre en hausse constante.

Un futur à écrire ensemble

Pour Chris Daughtry, la solution reste humaine. Malgré les groupes fantômes et les algorithmes trompeurs, il croit en la puissance de l’authenticité : “Même si l’IA apprend à simuler l’émotion, le public sentira toujours la différence.”

Dans un univers saturé de contenus, ce lien invisible entre l’artiste et son public pourrait bien être le dernier rempart contre l’uniformisation. Si les procès se multiplient et les points de vue s’affrontent, une chose est sûre : l’intelligence artificielle va continuer à bouleverser la musique. Reste à savoir jusqu’où les artistes, les plateformes et les auditeurs sont prêts à la laisser entrer.