Pink Floyd : La genèse du mythique The Division Bell

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En 1994, Pink Floyd a sorti The Division Bell, leur dernier album avec Rick Wright. Voici son histoire (via LouderSound.com)…

“Pourquoi ce type chante comme Syd ?”, demanda Rick Wright. C’était en mai 1994, et le claviériste de Pink Floyd venait d’entendre le nouvel album de Blur, Parklife. Les Pink Floyd étaient en tournée aux États-Unis d’Amérique et s’étaient réunis dans la suite de l’hôtel du guitariste David Gilmour pour écouter l’album qui venait de détrôner leur dernier opus, The Division Bell, de la première place.

M. Wright s’inquiétait du fait que la voix de Damon Albarn ressemblait à celle de Syd Barrett (ex-membre de Pink Floyd), mais il semblait être le seul à s’en soucier. Le bassiste Guy Pratt a déclaré :

Nous voulions savoir pourquoi on en faisait tout un plat [de l’album susmentionné]. La plupart d’entre nous pensaient que Parklife était très bon.

Pink Floyd pouvait se permettre d’être honorable dans la défaite. The Division Bell, sorti en mars 1994, était le premier album du groupe depuis 1975 (et leur album Wish You Were Here), à atteindre la première place au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Leur quatorzième album studio a été certifié plusieurs fois de platine et s’est avéré être une victoire pour le Rock Progressif dans les années d’expansion de la Britpop – le style de Blur – et de la Dance Music.

Il faut se souvenir de The Division Bell pour sa musique plutôt que pour les querelles internes qui ont miné les neuf années précédentes.

En octobre 1985, trois ans après The Final Cut de Pink Floyd, Roger Waters, membre fondateur et bassiste, dépose une requête auprès de la Haute Cour pour tenter d’empêcher l’utilisation du nom Pink Floyd à l’avenir. En décembre, il informe la maison de disques du groupe qu’il quitte le groupe et que Pink Floyd n’existe plus.

Malheureusement pour Waters, David Gilmour n’avait aucune intention d’abandonner Pink Floyd. Le batteur Nick Mason a écrit dans ses mémoires, Inside Out :

Dave a vu rouge et a fini par se ressaisir pour retourner au travail.

Effectivement une année plus tard, Pink Floyd sans Waters a fait son retour avec A Momentary Lapse Of Reason.

Rick Wright, qui avait quitté le groupe sous la contrainte en 1979, est revenu durant les sessions d’enregistrement, mais n’était toujours pas reconsidéré comme un membre à part entière.

Au lieu de cela, le nom de Wright figurait en tête d’une liste de 16 musiciens et choristes qui ont collaboré aux enregistrements afin de tenter de ressusciter Pink Floyd d’entre les morts.

pochette album

L’album a eu une naissance douloureuse. Gilmour a travaillé brièvement avec plusieurs auteurs-compositeurs externes, mais le processus a été fréquemment interrompu par des appels d’avocats chargés de défendre la poursuite de l’existence du groupe.

Waters a même essayé d’empêcher le nouveau Pink Floyd de partir en tournée, mais ses protestations n’ont pas abouti et il n’a pas pu arrêter l’élan du groupe.

A Momentary Lapse a été dénoncé par Waters comme étant une contrefaçon, mais a tout de même atteint la troisième place des charts britanniques et américains, et a été promu par une tournée qui a fait de Pink Floyd le deuxième groupe le plus rentable de 1987. Gilmour a déclaré :

Je ne pensais pas que c’était le meilleur album de Pink Floyd jamais réalisé.

Mais il a prouvé que Pink Floyd pouvait encore connaître un succès commercial sans Waters, l’homme qui avait imaginé les concepts de The Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here ou encore The Wall.

Les premières étapes de la genèse de The Division Bell ont eu lieu en janvier 1993, lorsque Gilmour, Mason et Wright jouaient dans les studios Britannia Row du groupe, au nord de Londres.

Très vite, Guy Pratt, qui avait joué sur la tournée Momentary Lapse…, s’est joint à eux. C’était un rêve devenu réalité pour le bassiste qui, adolescent, avait vu les Pink Floyd jouer The Wall à Earls Court. “C’était excitant de savoir que je jouais sur un disque de Pink Floyd” a dit Pratt, qui se souvient que Gilmour lui a gentiment demandé d’oublier 90% des notes qu’il voulait jouer.

Au printemps, Gilmour a déménagé l’opération dans sa péniche-studio, Astoria, sur la Tamise, et il a fait appel au co-producteur de The Wall et A Momentary Lapse… Bob Ezrin.

Après avoir rassemblé environ 65 morceaux que Nick Mason décrit comme “des riffs, des motifs et des gribouillages musicaux”, Gilmour a expliqué :

Nous avons organisé ce que nous avons appelé “la grande écoute”, où chacun a voté pour chaque morceau.

Les compositions ont été combinées ou écartées, mais il y avait un tel nombre de compositions que le groupe a brièvement envisagé, puis rejeté l’idée, de sortir une partie sur un second album – “y compris un ensemble surnommé The Big Spliff, qui était le genre de musique d’ambiance adoptée par des groupes comme The Orb”, d’après Mason.

Le processus de sélection des chansons a continué et le système de vote de Pink Floyd a été abandonné lorsque les autres ont découvert que Rick Wright donnait à ses idées le plus haut score possible et aux autres le plus bas.

Le problème venait en partie du fait que Wright n’était toujours pas un membre à part entière de Pink Floyd :

Il s’en est fallu de peu que je ne fasse pas l’album, car je ne trouvais pas que ce que nous avions convenu était juste.

Finalement, Wright a été pleinement réintégré au groupe et a été crédité sur quatre des onze titres de l’album final.

photo groupe

Peu avant l’été, la formation rejoint par Guy Pratt et les autres musiciens de tournée, le guitariste Tim Renwick, le percussionniste Gary Wallis et le claviériste Jon Carin, est entrée dans les studios Olympic à Barnes, dans l’ouest de Londres, et a enregistré une poignée de nouvelles chansons.

En automne, ils se sont retrouvés à l’Astoria et ont commencé à développer plus en profondeur ces chansons, mais Gilmour s’est heurté à divers obstacles lors de l’écriture des paroles.

Contrairement à Waters, il n’était pas un parolier confirmé. C’est ainsi que l’ex-compositeur de Slapp Happy, Anthony Moore, qui a co-écrit sur A Momentary Lapse…, et l’ancien chanteur-compositeur de Dream Academy, Nick Laird-Clowes, ont contribué tous deux à The Division Bell.

Cependant, c’est la petite amie de Gilmour de l’époque, la journaliste et auteure Polly Samson, qui a fini par co-écrire la plus grande partie des paroles. Gilmour, qui passait la journée à travailler sur la musique à bord de l’Astoria, avant de rentrer chez lui pour écrire des paroles avec sa future femme, a expliqué :

J’ai commencé à écrire des choses et à lui demander son avis, et progressivement, en tant qu’écrivaine et personne intelligente, elle a commencé à mettre son grain de sel et je l’ai encouragée.

Il a ajouté :

Il y avait tout un côté invisible dans le processus.

Tout le monde n’était pas à l’aise avec cette situation, d’après Bob Ezrin:

Ce n’était pas facile au début. Cela a mis à rude épreuve la bande de copains et c’était presque un cliché de voir cette nouvelle femme arriver et s’impliquer autant dans leur carrière. Mais peu importe ce que David avait en tête à ce moment-là, elle l’a aidé à trouver un moyen de s’exprimer.

À eux deux, ils ont écrit la chanson la plus forte de l’album, High Hopes, a avoué Ezrin :

Elle a tiré l’ensemble de l’album vers le haut. Elle nous a également donné une idée autour de laquelle accrocher certains des plus grands concepts.

High Hopes s’inspire en partie de l’enfance et de l’adolescence de Gilmour à Cambridge. Son magnifique solo de guitare évoque Shine On You Crazy Diamond, tandis que les arrangements orchestraux du compositeur Michael Kamen rappellent les cordes et les bois qu’il avait utilisés sur Comfortably Numb.

Pendant ce temps, le groupe a ressorti certains de ses claviers vintage et a calqué ses sons sur Take It Back et Marooned. Rick Wright était ravi :

On peut entendre mon influence sur des morceaux comme Marooned. C’est le genre de choses que je donnais à Pink Floyd dans le passé et c’était bien qu’elles soient à nouveau utilisées.

En réalité, tout l’album foisonne de sonorités familières. Le saxophoniste Dick Parry de Dark Side… et de Wish You Were Here était de retour au bercail. Ainsi que le responsable du mixage de Dark Side… Chris Thomas, qui a aidé à peaufiner le mixage final en lieu et place de Bob Ezrin.

Sur la version finale de High Hopes, les thèmes de la nostalgie et de la réflexion ont été repris dans la composition de Gilmour/Samson/Laird-Clowes. Son premier couplet aurait été inspiré par Syd Barrett et le second par Roger Waters. C’est ce que Bob Ezrin a expliqué :

Le concept général de The Division Bell est la communication et ses inhérentes difficultés : entre amis, épouses et amants, et anciens membres du groupe.

Les indices étaient perceptibles dans différents titres comme Lost For Words ou Keep Talking, dont le dernier sample la voix du scientifique Stephen Hawking.

Gilmour, qui était bien conscient de l’ironie de la situation compte tenu des piètres résultats de Pink Floyd en matière de communication interne, a déclaré :

Il s’agit plus d’un souhait que tous les problèmes puissent être résolus par la discussion que d’une croyance.

Pink Floyd : La genèse du mythique The Division Bell

Cependant, The Division Bell semblait aussi avoir un sous-texte : la renaissance.

Sur Wearing The Inside Out, Rick Wright se présente comme un homme qui s’aventure à nouveau dans le monde après des années d’isolement, ainsi le décrit Ezrin:

Il y a beaucoup d’honnêteté émotionnelle là-dedans. Les fans découvrent le côté triste et vulnérable de Rick.

Wright n’était pas le seul à être émotionnellement honnête. Gilmour parle de tuer le passé sur Coming Back To Life. Beaucoup y voient une référence à sa relation avec Polly Samson (qu’il épousa en juillet 1994) et au rejet du style de vie hédoniste qu’il a connu ces dernières années.

En réécoutant The Division Bell maintenant, on peut y percevoir beaucoup d’angoisse et de tension.

Sur What Do You Want From Me, censé être inspiré par une querelle de vieux couple, Gilmour y paraît enflammé et frustré, et il balance une lourde guitare Blues. Écoutez-la en parallèle avec son dernier album solo, le charmant On An Island de 2006, et vous verrez la différence.

Au Nouvel An, l’album était enfin terminé, et le groupe a commencé à rechercher un nom pour ce dernier. Nick Mason préférait Down To Earth ; d’autres préféraient Pow-Wow. Finalement, Douglas Adams, auteur de The Hitchhiker’s Guide To The Galaxy et ami du groupe, repéra les mots “The Division Bell” dans les paroles de High Hopes et proposa de les utiliser.

Bien que The Division Bell souffrait de ce que Guy Pratt appelait “une gueule de bois de production des années 80”, le problème a été compensé par l’absence de satisfaction et de complaisance de Gilmour, et la présence bienvenue de Rick Wright.

Contrairement à A Momentary Lapse…, The Division Bell est le fruit d’un travail de groupe, et Gilmour n’a pas tardé à dire à ses interlocuteurs qu’il pensait que c’était l’album qui sonnait le plus “comme du Pink Floyd” depuis Wish You Were Here.

Tout, des claviers spacieux aux solos de guitare langoureux, en passant par la grandiose pochette de Storm Thorgerson, renforcait sa théorie.

Roger Waters l’a qualifié de “disque affreux” et Melody Maker l’a comparé “au bruit que ferait un seau de gravier”, mais les fans de Pink Floyd n’étaient pas d’accord et l’album s’est hissé rapidement en tête des charts dans 10 pays.

Bien que les Floyd semblaient à la dérive sur A Momentary Lapse…, The Division Bell dégageait une confiance qui était de bon augure.

Naturellement, on ne peut s’empêcher de se demander à quoi aurait pu ressembler une suite. Bob Ezrin est du même avis :

J’aimerais que ce ne soit pas le dernier album de Pink Floyd, mais je n’y crois pas trop.

27 ans plus tard, The Division Bell reste un beau chant du cygne et un bel album. Personne, y compris Blur, ou même Roger Waters, ne peut lui enlever ça.

Pink Floyd : La genèse du mythique The Division Bell

Source : loudersound.com