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Marilyn Manson : L’exquise progéniture de Marilyn Monroe et de Charles Manson

Marilyn Manson né Brian Hugh Warner en 1969 dans l’Ohio, aux États-Unis, est le chanteur et cofondateur du groupe éponyme de Rock ‘n’ Roll fondé en 1989 en Floride, les deux entités sont indissociables. Il est devenu une véritable icône qui perturbe les États-Unis dans leurs fondements, réussissant à bâtir une communauté de fans indéfectibles tout en s’attirant les foudres de mouvements religieux et politiques ultra-conservateurs. Qu’est-ce donc que ce personnage androgyne qui prône un athéisme provocateur et une quête de liberté inconditionnelle, qui fascine autant qu’il répulse, comme les deux faces d’une pièce Marilyn/Manson, le digne enfant des États-Unis d’Amérique ?

Le succès, les premiers déboires et la caricature d’un nouveau symbole

C’est en 1989 que le groupe est créé, en collaboration avec Scott Putesky dit Daisy Berkowitz, et dès ses débuts la formation arrive à connaître un certain succès avec des performances scéniques grotesques. Les membres du groupe n’hésitant pas à se vêtir d’habits féminins et à se maquiller dans une inspiration Glam-Rock mais avec une connotation gothique et thrash, les annales font état de femmes nues crucifiées sur scène, d’enfants en cage, de pinatas remplies de chair animale, le tout avec un sérieux penchant esthétique sadomasochiste porté par des effets pyrotechniques bas de gamme. Le macabre et le bizarre au service du spectaculairement choquant !

À l’appui de ses performances scéniques, le groupe forge rapidement une réputation et une communauté de fidèles dans les tréfonds des scènes marginales de la Floride, en orbite des scènes Punk et Hardcore. Après quelques années et fort de sa petite notoriété grandissante, le groupe est repéré par Trent Reznor, fondateur et producteur de Nine Inch Nails, qui le signe dans son label musical, Nothing Records, en 1993. De cette collaboration naît le premier album Portrait of an American Family en 1994. Et voilà un style musical hybride catégorisé parfois dans quinze genres différents selon les envies de chacun au fil de l’évolution de la discographie, de l’Industrial Metal, aux influences Rock Gothique et New Wave, en passant par le Glam Rock et le Blues Rock. Le principal intéressé met fin au débat en affirmant que leur musique “c’est du Rock ‘n’ Roll” ! Par ailleurs existe-t-il une absolue nécessité de classifier toutes choses ?

Marilyn Manson a toujours été le principal parolier de la formation, ayant fait ses débuts en tant que rédacteur dans un magazine, le 25th Parallel, et dédiant une véritable passion à la littérature et à la poésie. Les paroles de ce premier opus entrent en résonance avec le projet Marilyn Manson, portant un regard acide sur le modèle familial américain, la morale et certaines législations, le détournement d’imagerie enfantine et le florilège de références à la poésie, à la musique et au cinéma ; entre autres la bande-son du suicide de Budd Dwyer trésorier de l’État de Pennsylvanie ou certaines paroles des chansons de Charles Manson, gourou et commanditaire d’une série de meurtres !

S’ensuivent deux tournées cette même année où le groupe assure la grande majorité des premières parties de Nine Inch Nails pour enchaîner sur sa propre première tournée avec 47 dates à travers les États-Unis et le Canada, ce qui est un début honorable pour un premier album.

Le second album Antichrist Superstar est édité en 1996, dès sa sortie il propulse la formation et surtout Marilyn Manson au rang d’icône du Rock ‘n’ Roll aux États-Unis ! Cet opus se veut un hommage au philosophe Nietzsche et au nihilisme, teinté de misanthropie, les paroles antisociales et antichrétiennes poussées par leur notoriété explosive et leurs performances scéniques grotesques et subversives provoquent de nombreuses manifestations de certains mouvements religieux et de l’American Family Association qui sera désormais à contre-gré le meilleur promoteur de Marilyn Manson.

Marilyn Manson
© Florias Sigismondi

Leur tournée Dead to the World, portée par des titres déjà emblématiques tels que Get Your Gunn, Tourniquet, Lunchbox, Sweet Dreams, Antichrist Superstar et bien d’autres encore, a lieu durant une année avec 169 dates en Amériques du Nord et Latine, en Europe, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

C’est alors qu’en 1997, lors des MTV Video Music Awards sur fond d’un drapeau détourné des États-Unis et d’une fanfare digne d’une rencontre de football américain, voilà que l’Antichrist-Superstar fait son entrée et dit :

Mes chers concitoyens américains, nous ne serons plus jamais opprimés par le fascisme de la chrétienté. Et nous ne serons plus jamais opprimés par le fascisme de la beauté.
Je vous vois, là, faire de votre mieux pour ne pas être moches, faire de votre mieux pour vous intégrer, faire de votre mieux pour gagner votre place au paradis. Mais laissez-moi vous demander… Est-ce que vous voulez vous retrouver dans un endroit remplit de trous du culs ?

Le groupe enchaîne sur leur titre The Beautiful People et Manson finit à moitié nu dans son pur style androgyne et tout ça, à la télévision nationale américaine !

Mechanical Animals, le 3ème album, sort en 1998. Il est érigé en un album-concept autour de deux personnages, d’une part une star du Glam-Rock complètement dépendante aux stupéfiants et d’autre part un alien non-genré prénommé Omega. Cet opus connaît un succès immédiat, les singles sont sur toutes les ondes de radios et de télévision et le travail effectué autour des clips vidéo rafle de nombreuses récompenses, mais certaines critiques s’élèvent contre une production justement trop compatible avec MTV et les radios. Avec des titres comme The Dope Show, I Don’t Like The Drugs (But The Drugs Like Me) ou Coma White le succès est assuré !

Cependant le 20 avril 1998 a eu lieu la tristement célèbre fusillade de Columbine, et s’est ensuivi une pluie de critiques envers le mouvement gothique et des artistes comme Marilyn Manson, bien que les deux soient en réalité assez distincts, justifiant que les motivations des deux assassins auraient été exacerbées par ces artistes qui promeuvent la violence. Ce fut un véritable raz-de-marée, qui a vu intervenir aussi bien un ancien ministre de l’Éducation, l’archevêque de Denver et plusieurs sénateurs en fonction qui ont souhaité légiférer sur la question de l’expression de la violence dans les œuvres artistiques. La formation n’a pas eu d’autres choix que de mettre un terme à sa tournée et de disparaître des canaux promotionnels durant un temps.

Dans le documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine, voilà ce que Marilyn Manson répond à la question “Qu’auriez-vous à dire à ces étudiants ?” :

Je n’aurais pas prononcé un seul mot. J’aurais plutôt écouté ce qu’ils avaient à dire – ce que personne n’a fait.

Dans la même veine en 2000 sort Holy Wood (In the Shadow of the Valley of Death), avec un retour aux sources musicales, bien plus orienté Industrial Metal. À noter qu’à cette période l’industrie musicale est dominée par un certain Eminem. Cet opus ne connaît pas à sa sortie le succès commercial des deux précédents mais sera reconnu bien plus tard comme le plus abouti, Marilyn Manson ayant travaillé comme un forçat perfectionniste sur l’ensemble des aspects (le concept, les paroles, la production, la pochette…). D’autant plus que les membres de la formation ont activement participé à l’écriture musicale que ce soit Twiggy Ramirez à la basse, John 5 à la guitare, Madonna Wayne Gacy au clavier ou Ginger Fish à la batterie.

Tout du long de sa carrière, la formation a connu dix guitaristes, dix bassistes, cinq claviéristes, sept batteurs différents et une pléthore de contributeurs, qui ont tous influencé le répertoire musical avec plus ou moins d’intensité, l’unique fil conducteur étant Marilyn Manson lui-même.

En 2003, The Golden Age of Grotesque centré sur une thématique burlesque, explorant les décadentes années 30 et incluant des personnages tels que Peter Pan, Adolf Hitler et Oscar Wilde, sort. Musicalement, les sons électroniques prennent de l’ampleur avec l’empreinte de Tim Skold qui a récemment rejoint la bande d’enfants monstrueux à la basse, à la guitare, au clavier, à l’accordéon et à la production aussi. Cependant les critiques sont extrêmement sévères et les ventes s’avéreront être les plus faibles de l’ensemble de la discographie. Avec cet opus commence une période maudite pour Marilyn Manson, relégué au rang de caricature de lui-même et musicalement peu créatif, qui se poursuivra avec les trois prochains albums.

En parallèle de la vie personnelle tumultueuse du chanteur, Eat Me, Drink Me, sort en 2007 traitant principalement de rupture amoureuse et de la quête de reconstruction à travers une nouvelle idylle, le tout saupoudré de vampirisme, confessions d’un gothique quarantenaire fraîchement divorcé. L’écriture musicale n’est pas au rendez-vous non plus, un classique ordinaire.

The High End of Low poursuit le massacre en 2009. La technique vocale de Marilyn Manson semble se dégrader, les paroles tombent dans la caricature recyclant les thèmes de violence, de douleur et de déception amoureuse, et se révèle plutôt répétitif. Cet opus connaîtra le score le plus bas de l’intégralité de la discographie du groupe, lors de sa première semaine de parution.

Marilyn Manson
© Jeff Riedel

La renaissance, toujours des déboires et l’avènement d’une icône

En 2012 sort Born Villain, bien qu’il s’agisse d’un léger sursaut et qu’il essaye de renouer avec les fondements du genre, il peine encore à convaincre définitivement. La formation semble tenter de retrouver son feu sacré des premiers albums mais n’y arrive qu’en partie malgré le retour de l’emblématique Twiggy Ramirez et un changement de direction artistique. Le court-métrage sort en 2011, Born Vilain, réalisé par Shia LaBeouf (entre Marilyn Manson et Tranformers, il n’y a qu’un pas). Il se veut une œuvre promotionnelle de l’album, intégrant des références à S. Dali, A. Jodorowsky ou encore W. Shakespeare, et ne fait pas l’unanimité.

Les critiques se divisent entre une œuvre réussie profondément dérangeante et une œuvre insipide qui échoue, une démarche qui brosse l’industrie du “show-business” dans le sens du poil, chose que le personnage de Marilyn Manson est censé exécrer. Concernant l’album, le succès auprès du public est bien de retour, dès sa première semaine d’exploitation, l’album se hisse dans le top 10 des charts de 22 pays sur iTunes, se classant dixième au Billboard 200 et premier au UK Rock Albums Chart.

C’est sur le tournage de la série Californication, produite et créée par Tom Kapinos, que Marilyn Mason fait la rencontre de Tyler Bates, un musicien, producteur et compositeur qui trempe dans plusieurs milieux dont le cinéma, la télévision et les industries de la musique et du jeu vidéo. C’est de cette rencontre et de la collaboration qui va en découler que l’Antichrist Superstar va connaître une véritable renaissance et va durablement s’installer comme une icône !

Effectivement en 2015, sort le 9ème album, The Pale Emperor ! Cet opus renoue avec l’intensité, le grotesque et la profondeur des premiers succès tout en innovant, en faisant la part belle aux influences Blues Rock. Une véritable claque, Marilyn Manson nous offre une évolution et une proposition nouvelle qui connaît un succès immédiat et unanime ! Les trois singles extraits de l’album, Third Day of A Seven Day Binge, Cupid Carries a Gun et Deep Six, sont ceux qui ont le plus réussi commercialement. L’album détruit les charts d’une quinzaine de pays, et la tournée The Hell Not Hallelujah Tour, avec 116 dates sur quatre continents, se différencie de toutes les précédentes puisqu’elle se concentre sur les titres fraîchement créés.

La collaboration avec Tyler Bates continue et nous offre Heaven Upside Down en 2017, qui malgré le retour retentissant assuré par le précédent album, arrive à passer un cap supplémentaire en gardant ce nouvel ADN Blues Rock mais en incorporant plus encore d’influences Industrial Metal et des sonorités électroniques. L’album est indéniablement une réussite qui plonge l’auditeur dans les abysses de la face cachée de nos sociétés contemporaines, du Marilyn Manson exquis !

Ce sera alors la fin de la collaboration avec Tyler Bates. Marilyn Manson travaille avec Shooter Jennings, artiste de Country et Southern Rock, sur le prochain album We Are Chaos, livré en 2020. Il ne s’agit pas pour autant d’une rupture, bien au contraire We Are Chaos fait partie de la digne lignée débutée par The Pale Emperor, légèrement assaisonné sauce Nashville.

En enregistrant cet album, je pensais : “Maîtrise ta folie, mets ton costume-cravate et essaye de prétendre que tu n’es pas un animal”, mais je sais que l’humanité est pire que tout. Être miséricordieux c’est comme être un assassin. Les larmes sont ce que le corps humain produit en plus grande quantité.

Marilyn Manson de par ses productions artistiques, musicales et picturales, ainsi que ses multiples collaborations au cinéma, à la télévision et même dans le jeu vidéo, propose un univers ! Il étale la noirceur qu’il perçoit de son époque et en dégage une philosophie ; ce qui a créé une communauté de fans indéfectibles tout autant qu’une communauté de détracteurs qui va jusqu’aux plus hauts sommets de l’administration et des institutions religieuses américaines. Marilyn Manson s’attire aussi les foudres d’une partie de la communauté “underground” qui dénonce une supercherie et un détournement des codes du Metal et du Gothisme entre autres, à des fins commerciales. Quoi qu’il en soit, Marilyn Manson perturbe ! Est-ce donc cela le digne enfant des États-Unis d’Amérique ? Indéniablement une icône.

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