Rammstein : L’histoire derrière la chanson Ausländer

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Rammstein : L’histoire derrière la chanson Ausländer
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Louder vient de publier un article sur l’histoire qui se cache derrière la chanson Ausländer de Rammstein. Découvrez-la ci-dessous !

Les musiciens de Rammstein ne sont pas arrivés au sommet du Heavy Metal en étant de gentils garçons qui chantent de belles chansons. Depuis leur formation en 1994, ils ont repoussé les limites à de nombreuses reprises, et ont naturellement énervé pas mal de gens en cours de route. Ausländer, sorti 25 ans après la création de Rammstein, a prouvé que le groupe de Metal Industriel avait encore de l’esprit et voulait remonter le moral des troupes – y compris des membres haut placés du gouvernement russe.

En 2009, l’avant dernier album, Liebe ist für alle da, a bien failli faire éclater le groupe. À cette époque, le guitariste Richard Z. Kruspe avait dit que ce serait peut-être la fin de Rammstein. Après une décennie de flottement atroce, Rammstein a fait son grand retour avec un septième album sans titre.

Le premier single, Deutschland, a suscité une grande controverse lorsqu’il a été publié en mars 2019 : c’est ce qu’il se passe lorsque les membres de votre groupe se déguisent en victimes de l’holocauste dans un clip vidéo, même si c’est bien exécuté. Le single Radio a suivi, examinant la censure de la musique, de l’art et de la culture occidentale par la République démocratique allemande – ce que les membres de Rammstein ont vécu derrière le mur de Berlin.

Tout cela était très lourd et horrible – et ce n’étaient que les deux premières chansons du disque. Lorsque l’album est finalement sorti le 17 mai 2019, ce duo de singles a été suivi par Zeig Dich, qui dénonce les pédophiles au sein de l’Église catholique. Ailleurs, Till Lindemann chante sur le meurtre, le viol, les traqueurs et les peines de cœur d’une manière mélancolique et idiosyncrasique que lui seul peut faire – c’est l’un des principaux facteurs qui distinguent Rammstein des autres groupes de Metal Industriel allemands comme KMFDM et Eisbrecher, en plus de l’empathie, la tristesse et les sentiments.

Le manque apparent de profondeur est ce qui a fait d’Ausländer un tel leurre. Au départ, la chanson semblait assez drôle dans le contexte de l’album – en surface, c’était léger. Christian “Flake” Lorenz démarre la compo avec des claviers hyperactifs et des arrangements pop, comme si Pitbull était à quelques secondes de se lancer dans le refrain et de crier “Mr. Worldwide !”. La section rythmique pose un fondement simpliste et déroutant pour que Till puisse lancer des proclamations effrontées en différentes langues telles que l’anglais, le russe, le français, l’espagnol ou encore l’italien.

À première vue, la chanson parle de coups d’un soir. Le personnage de Till voyage à travers le monde, utilisant la langue locale pour attirer les femmes dans son lit, malgré le fait qu’il s’enfuit en allemand à la fin. “Ich bin ausländer” = “Je suis un étranger”. Till est le ausländer, qui s’en sort avec seulement Duolingo et la libido d’un lapin qui n’a plus de carottes. Jusqu’à présent, c’est idiot. Mais bien sûr, c’est Rammstein. Et, à la manière typique de Rammstein, le clip musical, qui a suivi, a donné un tout nouveau sens.

Réalisé par Jörn Heitmann, le clip est arrivé environ une semaine après l’album, alors que le groupe entamait sa tournée des stades. Le court-métrage voit les membres de Rammstein arriver sur des rivages inconnus dans un canot pneumatique, tous habillés, bottés et prêts à coloniser. Et c’est exactement ce qu’ils font, dans une série d’exploits ridicules, où le guitariste Richard tente de tirer sur un papillon avec un fusil automatique, et où Till enseigne diverses langues aux indigènes. Inévitablement, ils finissent par baiser, laissant une portée de bébés aux cheveux blonds dans leur sillage. C’est une parodie, le groupe se moque de l’Ouest colonialiste, tout en incrustant divers détails tout au long de la vidéo – le canot étant probablement une référence à la crise des réfugiés européens.

Le thème réel est sujet à débat. Certains parient qu’il s’agit d’une attaque contre le tourisme sexuel, à l’instar de leur chanson Pussy, qui n’a aucun sens ; d’autres estiment que la nature des paroles est plutôt une allégorie du colonialisme que l’on voit dans la vidéo – les rencontres sexuelles équivalant à la conquête d’un territoire inexploré, en quelque sorte.

Le débat, les accusations, l’humiliation superficielle de Rammstein en tant que “simple groupe de Rock fait pour choquer” se sont succédé à un rythme effréné, comme d’habitude. Plutôt que d’afficher des excuses flasques ou d’expliquer la nuance de la chanson et de la vidéo, ce que le groupe a fait ensuite a cimenté Ausländer comme leur déclaration sociopolitique la plus grande, dans une carrière qui en était truffée.

Tout au long de la tournée des stades, qui s’est déroulée à guichets fermés et qui a attiré 1,3 million de personnes sur 31 dates en 2019, le morceau a joué un rôle poignant. À la fin d’une version épurée d’Engel sur la petite “scène B” au milieu du public, les musiciens retournaient sur la scène principale sur des canots pneumatiques.

À Chorzow, en Pologne, le batteur Christoph “Doom” Schneider et le guitariste Paul Landers ont fièrement fait flotter des drapeaux arc-en-ciel en solidarité avec la communauté LGBTQ du pays, alors que des manifestants d’extrême droite avaient lancé des pierres, des bouteilles et des pétards sur les personnes présentes au défilé de la fierté de Bialystok, quelques semaines auparavant. Lors du concert de Milton Keynes au Royaume-Uni, les fans ont pu voir Christoph agiter un drapeau européen dans son canot, à une époque où l’avenir du Brexit était en jeu.

Puis, lors de plusieurs concerts, alors que Paul et Richard jouaient l’outro prolongée, juste au moment où la dernière note frappait, ils ont partagé un court baiser sur les lèvres. Quand on connaît Rammstein, on sait que ce n’est pas grand chose. Mais mettre en scène ce baiser en Russie, un pays dont le gouvernement est farouchement anti-LGBTQ, n’est pas la meilleure manière de se faire des amis. Vitaly Milonov, un homme politique russe de haut rang, a qualifié les musiciens d'”idiots” après leur prestation à Moscou vers la fin de la tournée, en déclarant :

S’ils pensent qu’il est possible de se comporter de cette manière, ils devraient également envisager la possibilité que nous gardions ces déchets loin de chez nous.

Tout comme Amerika et Links 2-3-4 avant elle, Ausländer est une chanson de Rammstein qui est bien plus qu’un simple hit accrocheur – son impact n’a fait que s’accroître depuis sa sortie, passant d’un morceau qu’on écoute avant d’aller en boîte à la bande sonore d’une manifestation.

Actuellement, Rammstein est l’un des rares groupes qui, malgré sa longue carrière, propose des œuvres qui font encore réfléchir et bousculent les idées préconçues.

Rammstein – Ausländer :

Source : loudersound.com